Les Licences¤
Introduction¤
Une licence logicielle est un contrat légal qui détermine comment un logiciel peut être utilisé, modifié, et redistribué par les utilisateurs. Elle définit les droits et les obligations des utilisateurs vis-à-vis du créateur du logiciel. Les licences logicielles sont cruciales parce qu'elles établissent les règles de propriété intellectuelle, garantissent la protection des intérêts des auteurs tout en régulant l'accès à la technologie, et favorisent l'innovation et la collaboration dans le cadre de projets open-source ou commerciaux.
Les licences peuvent couvrir une large gamme d'autorisations, allant de licences strictes où l'utilisateur doit payer pour accéder et utiliser le logiciel, à des licences plus ouvertes qui permettent une libre utilisation et modification du code. La diversité de ces licences reflète les différentes philosophies et besoins du monde du développement logiciel.
Historique¤
Logiciel Propriétaire¤
Dans les années 1960 et 1970, les logiciels étaient souvent vendus avec le matériel informatique, et les codes sources étaient parfois fournis sans restrictions significatives. Cependant, avec l'évolution du marché du logiciel, des entreprises ont commencé à comprendre la valeur commerciale des logiciels. Ainsi, les premières licences logicielles restrictives ont été développées pour protéger les intérêts commerciaux des entreprises, restreignant l'accès au code source et limitant les droits des utilisateurs à simplement utiliser le logiciel sans en voir les coulisses.
Émergence de l'Open Source¤
Avec l'avènement de l'Internet et le besoin croissant de collaboration entre développeurs, une nouvelle approche a émergé : le logiciel libre. Le projet GNU, lancé par Richard Stallman en 1983, est le fer de lance de cette révolution. La licence GNU General Public License (GPL) est l'une des premières licences à promouvoir l'idée que les logiciels devraient être libres d'utilisation, de modification, et de redistribution, à condition que toutes les versions modifiées soient également distribuées sous la même licence.
Cependant, dans les années 1990, une série de conflits bien connus sous le nom de « guerres de licences » ont eu lieu entre différents camps du mouvement open-source. La licence BSD, originaire du projet Berkeley Software Distribution, offrait une approche plus permissive que la GPL, permettant l'incorporation du code BSD dans des projets propriétaires sans exiger la libération du code source. Cela contrastait fortement avec la philosophie de la GPL, qui impose un partage en retour (copyleft), obligeant toute dérivation du code à rester libre et open-source. Ce différend a mis en lumière les différentes visions de ce que devrait être l'open-source : la liberté pour les utilisateurs de faire ce qu'ils veulent avec le code, y compris le rendre propriétaire (BSD), versus la garantie que le code reste libre à perpétuité (GPL).
Ce débat est à la génèse de Linux, le noyau du système d'exploitation GNU/Linux, qui a adopté la GPL pour garantir que le code source reste libre et ouvert. Aujourd'hui, la GPL reste l'une des licences open-source les plus populaires, mais d'autres licences plus permissives, comme la licence MIT et la licence Apache, ont également gagné en popularité.
La licence MIT, extrêmement populaire dans la communauté open-source, adopte une approche encore plus simplifiée et permissive que la licence BSD. Elle permet à quiconque d'utiliser, copier, modifier, fusionner, publier, distribuer, sous-licencier et/ou vendre des copies du logiciel, avec comme seule obligation de mentionner l’auteur original. Ce type de licence est très apprécié pour sa simplicité et sa flexibilité.
Les licences Creative Commons (CC), bien qu'initialement conçues pour les œuvres créatives non logicielles (comme Wikipedia), ont également influencé le domaine du logiciel en fournissant des cadres légaux pour la diffusion de contenu, incluant parfois du code source, avec différents niveaux de protection des droits d'auteur.
Licences Populaires¤
Voici un aperçu des licences logicielles les plus couramment utilisées :
- GNU General Public License (GPL)
-
Garantit que le logiciel reste libre à jamais, encourage la collaboration, mais incompatibilité avec les licences plus permissives, contraignante pour les projets commerciaux.
- GNU Lesser General Public License (LGPL)
-
Permet l'utilisation de bibliothèques open-source dans des logiciels propriétaires mais moins contraignante que la GPL, mais impose des restrictions sur les modifications du code source.
- MIT License
-
Simplicité, grande permissivité, utilisée dans une multitude de projets, mais permet la réutilisation du code dans des logiciels propriétaires sans obligation de partage.
- Apache License 2.0
-
Clauses explicites sur les brevets, permissive mais protège les contributeurs, mais moins simple que la licence MIT, moins contraignante que la GPL pour garantir la liberté du logiciel.
- Berkeley Software Distribution (BSD) License
-
Très permissive, flexible pour les intégrations dans des logiciels propriétaires mais ne garantit pas que les versions dérivées resteront libres.
- Creative Commons (CC0, BY, BY-SA, etc.)
-
Idéal pour la diffusion de contenus créatifs, permet une large diffusion avec un choix de niveaux de protection, mais moins couramment utilisée pour les logiciels purs, difficulté d’adaptation pour certains projets techniques.
Le choix d'une licence dépend donc des objectifs du projet. On peut citer par exemple les cas de figures suivant :
- Développement Commercial
-
Pour les entreprises souhaitant conserver le contrôle total sur leur code, une licence propriétaire ou une licence permissive comme MIT ou BSD est souvent conseillée.
- Protection de la Propriété Intellectuelle
-
La GPL est idéale si l'objectif est de garantir que le logiciel reste libre et open-source, protégeant ainsi les droits des utilisateurs à modifier et redistribuer le code.
- Collaboration Ouverte
-
La licence Apache ou MIT est souvent choisie pour des projets collaboratifs open-source, où la flexibilité et l’ouverture sont primordiales, tout en assurant une protection contre les litiges de brevets (dans le cas d’Apache).
- Projets Académiques et Expérimentaux
-
Pour favoriser la diffusion rapide et libre des innovations, une licence très permissive comme la licence MIT ou CC0 peut être privilégiée.
- Contenu Créatif ou Documentation
-
Les licences Creative Commons sont idéales pour protéger et partager des documentations, des illustrations, ou des contenus audiovisuels associés aux projets logiciels.
Brevets Logiciels¤
Un brevet logiciel est une protection juridique accordée à une invention logicielle, permettant à son détenteur de contrôler l'utilisation, la production, et la vente de cette invention pendant une période donnée, généralement 20 ans. Contrairement aux licences logicielles, qui régissent l'utilisation d'un logiciel, un brevet protège une idée ou une méthode spécifique implémentée dans le logiciel. Les brevets logiciels sont particulièrement controversés en raison de leur complexité, de leur coût, et de leurs implications sur l'innovation technologique.
Les brevets logiciels confèrent à leurs détenteurs un monopole sur une certaine technologie ou méthode, leur permettant d'empêcher d'autres entreprises ou individus d'utiliser cette technologie sans autorisation. Cela peut être avantageux pour les entreprises qui investissent massivement en R&D, car un brevet peut fournir un retour sur investissement en protégeant leur innovation des concurrents.
Cependant, ces brevets peuvent également freiner l'innovation en empêchant d'autres développeurs de construire sur des idées existantes. Ils peuvent créer un environnement juridique complexe où les entreprises doivent naviguer prudemment pour éviter les poursuites en contrefaçon de brevet. Cela est particulièrement problématique dans le développement de logiciels, où de nombreuses innovations sont incrémentales et construites à partir d'idées préexistantes.
Le dépôt d'un brevet logiciel est un processus coûteux, tant en termes de temps que d'argent. Les coûts incluent :
- Frais de dépôt
-
Les frais de dépôt peuvent varier de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers d'euros/dollars, selon le pays et la complexité du brevet.
- Frais juridiques
-
L'assistance d'avocats spécialisés est souvent nécessaire pour préparer et déposer un brevet, ce qui peut coûter plusieurs milliers d'euros supplémentaires.
- Frais de maintenance
-
Une fois accordé, le brevet doit être maintenu en vigueur, ce qui implique des frais périodiques (annuaires) qui peuvent également être élevés.
En raison de ces coûts, le dépôt de brevets logiciels est souvent hors de portée des petites entreprises et des développeurs individuels. Même pour les grandes entreprises, le coût et la gestion des portefeuilles de brevets peuvent devenir un fardeau.
D'autre part un brevet n'est pas universellement reconnu, et leur statut juridique varie d'un pays à l'autre. Aux États-Unis par exemple, les brevets logiciels sont largement reconnus et accordés par l'Office des brevets et des marques de commerce des États-Unis (USPTO). Cependant, une série de décisions judiciaires récentes, comme l'affaire Alice Corp. v. CLS Bank International en 2014, a restreint la portée des brevets logiciels en exigeant que les inventions brevetables ne soient pas de simples « idées abstraites ». En Europe, les brevets logiciels sont plus restrictifs. L'Office européen des brevets (OEB) n'accorde des brevets logiciels que si l'invention apporte une « contribution technique » au-delà de l'algorithme ou du code lui-même.
Ces différences de traitement rendent complexe la protection globale d'une innovation logicielle par un brevet, obligeant les entreprises à adapter leurs stratégies en fonction des juridictions.
Pour ces raisons, beaucoup d'entreprises choisissent d'éviter les brevets logiciels. Vérifier la violation d'un brevet logiciel est notoirement difficile. Les logiciels peuvent être écrits de plusieurs façons pour atteindre un même objectif fonctionnel, ce qui permet aux développeurs de contourner un brevet en modifiant légèrement leur code. Cela limite l'efficacité des brevets logiciels en tant que mécanisme de protection.
De nombreuses entreprises préfèrent recourir à d'autres stratégies de protection telles que le secret commercial, qui est souvent moins coûteux et ne nécessite pas de divulgation publique de l'invention, contrairement aux brevets.
En conclusion, les brevets logiciels représentent une arme à double tranchant dans le domaine du génie logiciel. D'un côté, ils offrent une protection potentielle des innovations, permettant aux entreprises de capitaliser sur leurs investissements en R&D. De l'autre côté, leur coût élevé, la complexité juridique, les restrictions internationales, et la difficulté à vérifier et à faire respecter les brevets réduisent leur attrait pour de nombreuses entreprises, en particulier dans un secteur en rapide évolution comme celui du développement logiciel.
Ainsi, de nombreuses entreprises choisissent de ne pas breveter leurs logiciels, préférant d'autres formes de protection, ou simplement adopter une approche plus ouverte et collaborative. Les brevets logiciels demeurent un sujet controversé, avec des implications profondes pour l'innovation, la concurrence, et la croissance économique dans le domaine des technologies de l'information.
Conclusion¤
Les licences logicielles jouent un rôle central dans le développement et la distribution des logiciels. Elles influencent non seulement les droits et obligations des utilisateurs, mais aussi la manière dont les logiciels peuvent évoluer, être partagés, ou intégrés dans d'autres projets. Le choix d'une licence doit toujours être guidé par une compréhension claire des objectifs du projet, des valeurs du créateur, et des besoins des utilisateurs finaux. En fin de compte, la licence choisie peut déterminer la portée, l'impact et la durabilité d'un logiciel.